Les meubles de Saint Malo
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Cité très représentative de l'opulence des ports français dès le règne de Louis XIV, Saint-Malo fut un centre de production réputé à la fin du XVIII ème siècle. Le mobilier malouin, très spécifique, témoigne d'une belle qualité d'ébénisterie comme la plupart des réalisations portuaires. Les meubles ont subi ici l'influence hollandaise sans rien perdre de leur spécificité. Ils se réfèrent à la grande production classique du XVIII ème siècle plus volontiers qu'aux ouvrages régionaux que l'on a coutume de rencontrer. Un contexte particulier est sans nul doute à l'origine de l'essor de la production malouine qui a dynamisé des centres tels que Nantes, La Rochelle ou Bordeaux. Après l'étude de ces hauts-lieux qui ont vu naître d'authentiques chefs-d'œuvre de l'art portuaire, il était naturel que nous rendions hommage au meuble de Saint-Malo qui a déterminé un style à part entière qui le distingue du reste de la production bretonne. Son influence sur les meubles de la Vallée de la Rance est également importante, c'est la raison pour laquelle nous accorderons à ces derniers une place dans cette étude.
Des navires de commerce aux vaisseaux de guerre
Dès le XVI ème siècle, la cité qui verra naître Surcouf fut le point de départ d'expéditions vers le Nouveau Monde. Aux XVII ème et XVIII ème siècles, les malouins profitèrent de la chance qui s'offrait à eux de parcourir les océans. Les armateurs bâtirent des fortunes colossales en quelques générations grâce au commerce maritime qui se révéla rapidement prospère. Louis Malfoy, dans son ouvrage «Le Meuble de Port» nous rappelle le rôle des marins malouins dont la réputation joua un grand rôle dans l'histoire maritime et coloniale de la France. Dès le début du XVII ème siècle, ils n'hésitèrent pas à se mesurer aux Portugais pour s'emparer du monopole du commerce avec l'Orient. Daniel de la Raverdière, seigneur de la Touche, malouin d'origine, quitte quelques années plus tard Cancale et ramène de ses expéditions sur Cayenne des marchandises parmi lesquelles des essences de bois nouvelles. Il est aidé dans sa mission par un jeune naturaliste du nom de Jean Mocquet. La Raverdière s'illustre ensuite dans le nord du Brésil au Maranhao. Le courage des équipages malouins sera récompensé en 1655 lorsque le vaisseau amiral de la flotte royale est sur le point d'être appareillé. Les marins auront l'honneur de servir exclusivement le roi Louis XIV.
Lors de la fondation de la Compagnie des Indes en 1664, puis quant le port de Lorient est inauguré quelques années plus tard, les commerçants et armateurs malouins sont en première ligne. Les marins malouins eurent l'idée d'armer leurs navires marchands «en course» afin d'assurer la protection de la flotte royale. Les navires de commerce furent donc transformés en navires d'armement. Cette reconversion permit aux corsaires malouins de conquérir quelque mille cinq cents vaisseaux et de dominer ainsi leurs rivaux hollandais qui, longtemps, avaient exercé un quasi monopole sur les mers du monde entier. Les malouins surent tirer parti de richesses qui ne se limitaient pas à des coffres remplis d'or et de pierres précieuses, les cales recelaient également, si l'on en croit la tradition, des meubles destinés à être expédiés dans les nombreuses possessions de ces maîtres des océans.
Hôtels particuliers et malouinières font vivre la corporation des maîtres menuisiers au XVIII ème siècle
Saint-Malo, officiellement organisé en cité en 1152, a vécu durant des siècles du commerce maritime, ce qui lui a ouvert des horizons sur le monde extérieur. Dès le XVII ème siècle, la ville connaît une grande prospérité à l’ombre de ses hôtels particuliers où résident les riches amateurs. La Ville close, à travers une architecture sobre, cultive le goût de 1' élégance derrière ses façades quelque peu austères et massives. Les plus beaux fleurons de la rénovation immobilière malouine sont l'hôtel Fontan construit par Magon de la Lande et surtout l'hôtel de Marion du Fresne, siège de la Compagnie des Indes de 1709 à 1719. A ces belles demeures intra-muros s'ajoute le charme des malouinières, manoirs situés hors des remparts, que les familles aisées faisaient construire pour recevoir leurs relations. Ces demeures aux sols de marbre raffinés situées au milieu de jardins descendant vers l'estuaire de la Rance sont très caractéristiques de la douceur de vivre malouine.
La corporation des menuisiers de Saint-Malo qui comptait un ou plusieurs représentants par quartier vivait grâce à la riche clientèle des familles installées dans les hôtels particuliers et dans les malouinières. Les registres de la capitation font apparaître que trois maîtres menuisiers étaient soumis à l'impôt en 1701. La corporation ne cessa de se développer et, en 1725, on compte encore onze membres actifs. La notion d'échange est une des caractéristiques de la corporation qui ne vit pas repliée sur elle même mais fait profiter de son savoir faire des centres de production tels que Morlaix, Granville et Cancale. Les artisans malouins semblent avoir bénéficié de l'expérience des charpentiers hollandais que les corsaires avaient fait prisonniers. Ceux-ci s'installèrent parfois définitivement à Saint-Malo et y firent souche. Jusqu'à l'arrivée de l'acajou - c'est probablement Saint-Malo qui réceptionnera les premières billes de bois - la production malouine se compose de meubles en chêne construits selon les modèles hollandais. Le noyer a également été utilisé mais de façon plus rare.
La malouinière influencée par les armoires hollandaises
La «malouinière» qui se présente sous la forme d'un buffet ouvrant à quatre vantaux est le meuble le plus typique de la production. Il est le plus souvent réalisé en chêne massif avec parfois un mélange de châtaigner avant l'utilisation de l'acajou. Quelques modèles de malouinières ont été exécutés en if, essence résineuse d'une grande dureté qui, en se patinant, prend l'aspect de l'écaille. La malouinière s'inspire des «Zeeune Kast» armoires hollandaises, à la fois massives et profondes, dont la façade se divise en panneaux décorés de motifs octogonaux rapportés en relief. La malouinière toujours fabriquée intra-muros et dont la hauteur varie entre deux mètres et deux mètres cinquante était exécutée dans sa version la plus raffinée en bois des Isles : acajou, palissandre, gaïac, camphrier. Le travail de mouluration est toujours très soigné même pour les modèles les plus simples. Les panneaux octogonaux mis en valeur par une succession de moulures demeurent généralement lisses, à moins qu'ils ne soient sculptés en bas-relief de motifs religieux qui se détachent sur fond maté.
Malouinière en noyer d'époque
fin XVII ème début XVIII ème siècle
Certains modèles sont marquetés d'un motif à la rose des vents en ivoire et en ébène. Sur les malouinières réalisées en chêne massif, on note souvent la présence de motifs octogonaux en ébène ou bois des Isles foncé.
Armoire de la vallée de la Rance.
Milieu du XVIII ème siècle
Des pilastres en ressaut placés sous la corniche crénelée s'emboîtent directement sur le bâti d'où partent souvent des cclennettes finement torsadées et tournées. Ces dernières viennent encadrer les vantaux et elles se répartissent par paires sur la façade. Sur les tiroirs, les moulures prennent la forme de losanges dans lesquels s'inscrivent les entrées de serrure très caractéristiques. Ces Losanges sont rythmés de chaque côté par des cabochons ronds, tandis que d'autres moulures aux formes ondées mettent en valeur les poignées de tirage d'un esprit typiquement malouin. Les cabochons ronds qui figurent sur les tiroirs se retrouvent parfois à l'angle des panneaux octogonaux des vantaux. La malouinière repose sur un piétement le plus souvent constitué de boules aplaties en bois noirci ou sur des pieds griffes.
L’armoire à vantaux est typique des techniques parisiennes de montage
Les armoires à deux vantaux apparaissent au XVIII ème siècle et sont typiques d'une certaine évolution, celle des menuisiers malouins qui s'inspirent des techniques parisiennes de montage. Ces armoires sont conçues de manière à pouvoir se démonter facilement. Les vantaux sont rattachés aux montants par des gonds ou des fiches à larder en fer. L'armoire malouine en acajou de Cuba que l'on rencontre encore au début du XIX ème siècle et qui s'inspire du style Louis XIV atteint parfois une hauteur assez conséquente, dépassant deux mètres cinquante voire trois mètres et plus. Elle se distingue par ses grands panneaux lisses et totalement plats que ne rehaussent ni moulures ni sculptures à l'exception d'une bordure en bec de corbin. La beauté de l'acajou suffit à mettre en valeur ce meuble ainsi que les très belles entrées de serrure très délicatement ciselées en bronze coulé ou en laiton. Par opposition à la malouinière, l'armoire à deux vantaux possède un montant central dit faux-dormant qui n'est plus fixe mais pivote en même temps que le vantail de gauche. A l'instar des panneaux, les façades de tiroirs se présentent rigoureusement plates et ornées de ferrures en laiton ou en bronze coulé. La corniche à laquelle est incorporé le plafond est droite et largement débordante. Elle peut être posée ou encore emboîtée sur le bâti et fixée par deux ou trois crochets en fer forgé. Les côtés latéraux sont à cinq panneaux ou six panneaux embrevés.
L'armoire malouine que l'on rencontre volontiers dans la vallée de la Rance est exécutée en bois indigène, chêne essentiellement. Elle est assez élégante en raison de ses lignes élancées. Les vantaux sont agrémentés de larges encadrements qui mettent en valeur le panneau rectangulaire central de forme étroite. Ce type de montage est caractéristique des armoires datant du début du XVIII ème siècle. Les tiroirs montrent une garniture métallique constituée de poignées de forme mouvementée très typiques de la région de Saint-Malo. La vallée de la Rance a également vu naître de remarquables modèles d'armoires dont le parquetage situé sur les vantaux est en chêne et châtaigner. Les plus belles pouvaient avoir un parquetage fait de cinq ou six essences de bois différents : merisier, noyer, if, acajou etc... Quelques très rares exemplaires étaient parquetés sur les trois faces visibles. L'armoire est encore mise en valeur par de très beaux écoinçons en noyer et des gonds en fer. Les entrées de serrure en laiton finement découpé sont très caractéristiques de la production malouine. La corniche fortement moulurée apparaît largement débordante. Le cadre mouluré encadrant les vantaux est très révélateur d'un esprit Louis XIV que l'on retrouve également dans la disposition des panneaux latéraux.
Buffets bas et buffets deux-corps
Le buffet bas ouvre à deux portes et trois tiroirs dont un localisé au centre et qui se caractérise par sa petite taille. Ce meuble est généralement exécuté en chêne ou en châtaigner, mais certains rares modèles sont en acajou. Le buffet bas présente parfois des dimensions imposantes, il peut mesurer jusqu'à deux mètres de long pour une profondeur de soixante-dix à soixante-quinze centimètres. On le rencontre aussi bien dans les intérieurs campagnards que dans les demeures bourgeoises. Le plateau se présente amovible tandis que les portes plates et de forme carrée sont séparées par des moulures en assez fort relief. Les côtés généralement à deux panneaux verticaux sont prolongés par des montants qui forment les pieds. Une particularité des buffets bas réside dans l'absence de traverse entre le plateau et les tiroirs comme sur certains modèles de commodes. Il existe également des modèles de buffets deux-corps dont les plus beaux sont en acajou. Ils demeurent imposants par leurs proportions et d'une inspiration plutôt parisienne. Ils ne sont pas très répandus car ils meublaient les demeures de qualité. Leur architecture rappelle le style Louis XIV bien que le décor semble volontiers inspiré de la Régence. Ces deux-corps révèlent une mouluration de qualité et parfois des sculptures lorsqu'ils se réfèrent au style Louis XV.
Des commodes au galbe élégant
La commode de type Louis XIV réalisée en chêne ou en châtaigner présente des lignes sobrement architecturées, c'est-à-dire une façade légèrement galbée et trois rangées de tiroirs, les côtés en revanche restent plats et sont quelquefois parquetés. On trouve également de nombreux modèles en bois exotiques, notamment l'acajou, qui témoignent d'une inspiration plus parisienne. L'utilisation de cette essence a donné lieu à une plus grande recherche au niveau de la construction. Le dessin de la façade est par exemple beaucoup plus raffiné que les commodes en bois indigènes. Le galbe devient nettement plus sensible, se situant au niveau du tiroir central, sans donner lieu toutefois à l'exubérance des modèles bordelais. Les côtés sont également galbés mais sans exagération. Les plus beaux modèles montrent un profil en arbalète, mouvement que l'on retrouve sur le plateau. La commode malouine se caractérise par son aspect lisse, poli. L'absence de sculpture et de moulures met en valeur la beauté de l'acajou. Cette commode n'est jamais recouverte d'un plateau de marbre, mais d'un dessus en acajou à encadrement largement débordant parfois orné d'une rose des vents en marqueterie d'ivoire et d'ébène ou de bois clair et d'ébène. Le montage ne présente pas de particularité par rapport à celui des modèles des autres provinces, notons toutefois que le plateau, amovible, est conçu de manière à s'encastrer dans le meuble grâce à un système de tenons placés dans les traverses latérales et fixés par des crochets. Les garnitures de bronze et de laiton participent à l'élégance des lignes. Elles s'inspirent du style hollandais ou sont très typiques de l'expression malouine. Les entrées de serrure apparaissent largement ajourées, d'un dessin très élégant et symétrique. Les poignées tombantes, dites en cuisse de grenouille, reposent sur des plaques délicatement ciselées «en croissant». Autre particularité de la région malouine, les tiroirs viennent affleurer les traverses et le tablier. Ce détail de conception est particulièrement sensible lorsque l'on examine la traverse haute de façade placée soit en retrait ou tout simplement absente. Le tiroir arrive alors pratiquement au niveau du plateau qui apparaît plus débordant sur les côtés qu'en façade.
Commode en acajou d'époque XVIII ème siècle
Les menuisiers-charpentiers de Saint-Malo ont également réalisé un certain nombre de commodes d'inspiration typiquement Louis XV qui témoignent d'une très belle qualité de fabrication lorsqu'elles sont en acajou. Galbé sans excès en façade et sur les côtés, ce type de commode se caractérise par son élégant piétement en forme de jarret prolongé par un pied de biche. Une fine sculpture en léger relief constituée notamment de feuillages fait ressortir ce pied de biche. Les mêmes motifs ornementaux se retrouvent au sommet des montants. Le plateau de forme mouvementée suit le profil de la façade en arbalète. Il existe également des modèles en tombeau également très élégants. La répartition des bronzes sur la façade rehausse l'aspect poli de l'acajou massif.
Le bureau de pente symbole de l'opulence des riches armateurs
Un autre meuble caractéristique de la production est le bureau de pente ouvrant en partie basse à trois rangs de tiroirs. Meuble de port par excellence, il illustre parfaitement l'opulence des riches armateurs. D'un esprit typiquement malouin, il est réalisé en acajou massif et fait l'objet d'un soin particulier dans ses techniques d'assemblage. Le bureau de pente se caractérise également par de belles surfaces lisses rythmées par le décrochement des montants qui renforce l'impression de mouvement et allège la structure générale. Les tiroirs exécutés en acajou massif suivent les lignes légèrement galbées de la façade. La serrurerie, en accord avec l'aspect raffiné du bois, est également de très belle qualité. L'abattant agréablement mouvementé et mouluré donne lieu à une grande recherche. Il découvre un serre-papier agrémenté d'une rangée de tiroirs, de niches et souvent de compartiments secrets destinés aux conespondances intimes. Le bureau de pente malouin, meuble raffiné et ingénieusement agencé, est dérivé des modèles anglais traditionnels mais il est également très proche des meubles de la belle production portuaire française. Ses poignées et ses entrées de serrure sont en revanche très caractéristiques de la fabrication malouine. Nous achèverons ce tour d'horizon des grands classiques de la production malouine avec quelques exemples de meubles qui illustrent quelquefois des influences variées et des styles composites. Les écritoires et les coffres de marins de style Louis XV ou Louis XVI s'inscrivent dans cette veine et dans une certaine mesure les modèles de bureau dont les bronzes rapportés étaient souvent importés d'Angleterre. Dans la lignée des petits meubles, il nous faut enfin citer de charmantes tables à jeu pliantes en acajou d'inspiration anglaise, des petites tables cabaret, dont Louis Malfoy cite un rare spécimen à plateau de marbre encastré. La table Louis XIII à pieds tournés est également présente dans le mobilier malouin. Elle est la plupart du temps exécutée en bois de gaïac ou en acajou. Il existe enfin de jolis modèles de table de chevet en bois d'acajou et une variété de meubles de commande spécialement exécutés pour être placés dans des endroits précis : oratoires, horloges, bonnetières, cabinets etc...
LES MALOUINIÈRES
Sur les malouinières, les garnitures métalliques, entrées de serrure et poignées de tiroirs, en fer, en bronze coulé ou en laiton finement découpé sont très représentatives du style inspiré de la Renaissance qui apparaît dès le début du XVII ème siècle. On trouve des anneaux et des têtes d'anges ciselés, ainsi que des têtes de lions et des motifs feuillages, certains boutons peuvent être en ivoire tourné ou en bois des Isles. Les gonds des portes situés aux angles des meubles sont en fer forgé. Le système de fermeture a donné lieu à des aménagements multiples souvent ingénieux dissimulés dans les traverses surmontant les tiroirs.
Caractéristiques de construction :
Le montant central désigné sous le nom de dormant a pour particularité d'être fixe, tandis que les faux montants latéraux pivotent en même temps que les vantaux sur des gonds débordants. Ceux-ci sont fixés sur le champ des bâtis des côtés. Ce type de montage se retrouve sur les meubles anglais mais sera rapidement abandonné en France.
Les côtés à trois, cinq, voire six panneaux verticaux apparaissent chevillés tandis que les autres éléments du meuble s'emboîtent, y compris la corniche, fixée grâce à des crochets de fer.
Malouinière en chêne massif. Epoque XVIII ème siècle